La gare a ceci de magnifique qu’elle est en constant mouvement. On s’y installe, on écoute. C’est la course de chacun. Pour arriver à temps. Pour avoir le temps d’accueillir. Pour avoir le temps de se séparer. Les larmes elles-mêmes sont fragiles, bien souvent étouffées par le peu de temps disponible. Les sourires eux, s’étendent, certes, mais déjà ils ne sont plus sur les quais.
C’est là qu’on lit avec Joachim. On s’est installé comme des gamins, au bout du quai, là où les trains passent à vingt centimètres de toi devant et dix derrière. Là où faut pas allonger les jambes. Là où le frisson fait trembler. En général, on y reste une trentaine de minutes avant qu’un employé ne vienne nous déloger. « Zavez rien à faire là ! » Parfois c’est la sécurité de la gare qui le fait à leur place. On ne les emmerde pas. Mais on revient. Petit à petit. Y en a certains qui nous connaissent. Y en a même un, un vieux type au regard gris, qui nous regarde de loin, nous fait un signe de la main, et continue son chemin, sans nous emmerder plus que ça.
Au final, on est loin de tout ce bordel dont je parlais tout à l’heure. Les retrouvailles et les séparations, elles ont lieu sur le vrai quai, pas sur ce petit coin atrophié, inutile, où personne ne vient. Et pourtant, on les entend jusqu’ici. Chaque sanglot, chaque bonjour, même le froufrou des vêtements quand deux amis ou deux amant se prennent dans les bras. On a beau être loin, on les voit, celle-là qui coure derrière le train pour garder l’autre des yeux, celui-ci qui reste prostrée sur le quai, fume une cigarette en tremblant, et hésite à sauter. On est là. On les voit tous. Pourtant on ne bouge pas.
On a nos livres. Un, deux ou trois. Généralement des livres courts. L’étrange cas du Dr Jekyll & Mister Hide ; Jours sans faim. Ce genre de choses. De quoi passer quelques heures sans bouger, dans le froid, tout en parlant ensemble. Qu’est-ce que t’en penses ? Prends moi dans tes bras ; J’ai mal. Ça fait du bien. Regarde, il a perdu son chapeau.
Ce sont des moments d’éternités, ces moments-là. On se demande toujours ce qui fait qu’on n’a jamais sauté ? Est-ce qu’on sera là dans quarante ans ? Peu probable. On l’a fait deux fois à vrai dire. Rien ne dit qu’il y en aura une troisième. Mais on aime l’idée de se bercer de cette illusion. On aime croire qu’on est là et qu’on y sera à nouveau. On aime croire que rien ne changera, que ce sera une ancre, dans le déferlement. Comme dans ces séries télés où des personnes gardent les mêmes amies trois, quatre, cinq, six ans durant. Le temps passe, encore et encore, mais nous on demeure.
Quelle ineptie. En réalité, les gens arrivent, se posent et repartent. En quelques heures sur un quai, on voit le même manège, mais il n’a rien à voir. C’est un ronron constant de l’humanité. En réalité, nous passons. Seul le temps demeure.
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